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L’Afrique bancaire à la croisée des chemins

Le secteur bancaire africain vit en 2025 un moment décisif. Depuis quelques années, de grands groupes européens, naguère omniprésents dans les capitales du continent, réduisent discrètement leur empreinte. Société Générale, BNP Paribas ou Barclays se recentrent sur leurs marchés jugés plus sûrs, laissant derrière eux des filiales jugées peu rentables ou trop risquées. Ce mouvement, certains y voient un désengagement inquiétant, une forme de retrait qui fragilise les économies africaines. Mais il peut aussi être lu comme une opportunité historique : pour la première fois, ce sont des acteurs africains qui reprennent le flambeau, rachetant des parts de marché, affirmant une souveraineté longtemps empêchée.

Car l’histoire bancaire du continent ne s’écrit plus à Paris, Londres ou New York, mais à Lagos, Abidjan, Johannesburg et Casablanca. Zenith Bank, géant nigérian, s’installe en Côte d’Ivoire avec l’ambition claire de conquérir l’espace francophone. Coris Bank, née à Ouagadougou, consolide sa position en Afrique centrale en rachetant des filiales abandonnées par les banques françaises. Standard Bank, solide pilier sud-africain, continue son expansion méthodique, tandis que les banques marocaines investissent sans relâche en Afrique de l’Ouest. Ces mouvements dessinent un nouvel échiquier où les champions locaux ne sont plus des acteurs secondaires, mais des forces capables de rivaliser avec les anciennes puissances coloniales.

Dans ce contexte, les institutions panafricaines jouent un rôle stratégique. La Banque africaine de développement, en multipliant les financements directs aux banques locales et aux PME, devient un véritable catalyseur de croissance. Afreximbank, avec son système panafricain de paiement et de règlement, propose une alternative concrète aux transactions en dollar ou en euro, ouvrant la voie à une intégration financière continentale longtemps rêvée. Derrière ces initiatives se dessine un horizon clair : celui d’une souveraineté monétaire et bancaire africaine.

Mais ce récit, s’il inspire, ne doit pas masquer les failles. Car la transformation numérique, qui bouleverse le secteur, apporte autant de promesses que de menaces. Au Kenya, la Banque centrale a dû mettre en place un centre de cybersécurité bancaire tant les attaques se multiplient. Au Nigeria, la crise de liquidité a montré que l’adoption forcée du digital peut provoquer autant de résistance que d’enthousiasme. Les fintechs, elles, séduisent par leur agilité et leur proximité avec les besoins des populations non bancarisées, mais elles fragilisent aussi les banques traditionnelles, souvent incapables de rivaliser en rapidité et en innovation.

L’inclusion financière, enjeu cardinal du développement, reste fragile. Certes, les progrès sont indéniables : le mobile money a permis à des millions d’Africains d’accéder pour la première fois à un service financier. Mais la bancarisation formelle demeure faible dans de nombreux pays, et les zones rurales restent largement en marge. Plus encore, la confiance, ciment indispensable de toute relation bancaire, se heurte aux réalités du quotidien : frais élevés, coupures de réseau, manque de transparence.

Face à ces défis, la question centrale est celle de la gouvernance. La reprise des filiales cédées par les banques européennes doit s’accompagner d’une exigence de transparence et de responsabilité. Sans cela, les nouvelles structures risquent de reproduire les travers des anciennes : concentration excessive, clientélisme, opacité. Or, sans gouvernance solide, la promesse d’une souveraineté bancaire africaine pourrait n’être qu’un mirage.

L’Afrique bancaire est donc à la croisée des chemins. D’un côté, un avenir où les banques africaines, portées par la croissance et l’innovation, deviennent des piliers de la stabilité économique et des moteurs d’intégration régionale. De l’autre, le risque d’un secteur fragmenté, exposé aux crises de change, aux fragilités politiques et à la concurrence sauvage des nouveaux entrants.

Ce qui se joue aujourd’hui dépasse le seul champ des bilans financiers. Il s’agit d’une bataille pour la souveraineté, pour la capacité du continent à maîtriser ses flux, financer ses priorités et protéger ses citoyens. Si les banques africaines réussissent ce pari, elles ne seront plus seulement des institutions de crédit : elles deviendront les architectes d’une Afrique plus indépendante, plus résiliente et plus confiante en son propre avenir.

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