Une alerte chiffrée de la BAD
La Banque africaine de développement (BAD) a tiré une nouvelle sonnette d’alarme. Dans un rapport publié en 2025, l’institution estime que le continent africain aura besoin de plus de 1,3 trillion de dollars pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) fixés par les Nations unies d’ici 2030. Sur ce montant colossal, entre 68 et 108 milliards de dollars par an devraient être consacrés uniquement au financement des infrastructures. Routes, ports, réseaux électriques, systèmes de santé, accès à l’eau potable : les besoins sont immenses, et le temps presse.
Le constat n’est pas nouveau, mais il prend une acuité particulière dans un contexte marqué par l’endettement croissant des États africains et la hausse du coût de l’emprunt sur les marchés internationaux. Pour la BAD, l’Afrique n’a pas d’autre choix que de mobiliser des financements massifs, publics comme privés, nationaux comme internationaux, si elle veut éviter de voir s’éloigner définitivement l’horizon 2030 fixé par l’ONU.
Des infrastructures insuffisantes face à une démographie galopante
L’Afrique est le continent le plus jeune du monde et le plus dynamique sur le plan démographique. D’ici 2050, sa population devrait passer de 1,4 à 2,5 milliards d’habitants. Cette croissance, qui représente une opportunité unique, risque pourtant de se transformer en bombe sociale si elle n’est pas accompagnée d’infrastructures adaptées.
Les déficits actuels sont criants. Plus de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité. Les réseaux routiers et ferroviaires, souvent hérités de la période coloniale, demeurent fragmentés et peu interconnectés. Les systèmes de santé, déjà fragiles, ont montré leurs limites lors de la pandémie de Covid-19. L’accès à l’eau potable et à l’assainissement reste problématique dans de nombreuses zones rurales. Quant aux infrastructures numériques, elles progressent mais demeurent très inégales, avec des écarts abyssaux entre zones urbaines et campagnes reculées.
Dans ce contexte, la BAD insiste : sans un investissement massif et coordonné, le continent risque de rater son rendez-vous avec le développement durable et de voir ses inégalités se creuser.
Le piège de la dette
Le paradoxe est cruel. Alors que les besoins de financement explosent, la capacité des États africains à emprunter s’amenuise. La dette publique moyenne dépasse 60 % du PIB en Afrique subsaharienne, et certains pays consacrent déjà une part écrasante de leurs recettes fiscales au remboursement de leurs créanciers. Le Ghana, la Zambie et l’Éthiopie ont dû engager des négociations de restructuration. Le Nigeria et le Kenya peinent à lever des fonds à des taux soutenables.
Dans ce contexte, comment trouver les milliards nécessaires pour financer les infrastructures et atteindre les ODD ? Pour la BAD, la réponse passe par une diversification des sources de financement. L’institution appelle à combiner financements publics, investissements privés, partenariats public-privé (PPP) et recours accru aux marchés de capitaux locaux et régionaux.
Le rôle des bailleurs internationaux
La BAD insiste sur la nécessité d’un engagement plus fort des partenaires internationaux. Les flux d’aide publique au développement restent importants, mais ils couvrent à peine une fraction des besoins. Les institutions multilatérales, comme la Banque mondiale ou le FMI, offrent des financements à taux préférentiels, mais souvent conditionnés à des réformes structurelles difficiles à mettre en œuvre politiquement.
La BAD plaide également pour un recours accru aux financements climatiques. Le continent, qui ne représente que 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, est pourtant le plus exposé aux conséquences du changement climatique. Sécheresses, inondations, cyclones : les catastrophes climatiques se multiplient et fragilisent les infrastructures existantes. Les fonds internationaux pour le climat, comme le Fonds vert, devraient donc être mobilisés davantage pour financer des projets d’adaptation et de transition énergétique.
Les investisseurs privés au cœur de la stratégie
Mais la BAD le reconnaît : l’aide internationale, à elle seule, ne suffira pas. Le secteur privé doit devenir un acteur central du financement du développement africain. Les besoins en infrastructures, par leur ampleur, représentent aussi une opportunité pour les investisseurs en quête de rendements.
Le défi est d’attirer ces capitaux dans des environnements souvent perçus comme risqués. Pour cela, la BAD propose de renforcer les mécanismes de garantie et de partage des risques, afin de sécuriser les projets et de rassurer les investisseurs. Elle encourage aussi la création d’obligations vertes et sociales, qui pourraient séduire des fonds d’investissement soucieux d’impact.
Certaines initiatives montrent la voie. Au Kenya, des partenariats public-privé ont permis la construction d’autoroutes modernes. En Côte d’Ivoire, des investisseurs privés participent au développement de centrales hydroélectriques. Au Nigeria, des projets solaires de grande envergure attirent des capitaux internationaux. Ces exemples prouvent qu’avec un cadre clair et des incitations appropriées, le privé peut jouer un rôle clé.
La question de la gouvernance
Un autre défi majeur réside dans la gouvernance des projets. Trop souvent, les financements se heurtent à des problèmes de corruption, de mauvaise planification ou de gestion défaillante. La BAD insiste sur la nécessité de renforcer la transparence, de publier les contrats et de mettre en place des mécanismes de suivi indépendants.
La confiance des investisseurs dépend de la crédibilité des institutions. Or, dans de nombreux pays, les scandales liés à des infrastructures mal construites ou à des fonds détournés minent la confiance. Sans amélioration de la gouvernance, il sera difficile de convaincre les bailleurs comme les investisseurs privés d’engager des sommes aussi colossales.
L’Afrique entre urgence et opportunité
Le rapport de la BAD souligne un paradoxe fondamental. Jamais l’Afrique n’a eu autant besoin d’investissements pour accompagner sa croissance. Mais jamais, non plus, le contexte financier international n’a été aussi contraignant. Cette tension pourrait soit plonger le continent dans une crise durable, soit, au contraire, le pousser à inventer de nouvelles solutions.
Les infrastructures ne sont pas un luxe, mais la condition de base du développement. Sans routes, les agriculteurs ne peuvent écouler leurs produits. Sans électricité, les usines ne tournent pas. Sans Internet fiable, les startups ne peuvent émerger. Les ODD ne sont pas des objectifs abstraits, mais des jalons concrets pour garantir aux Africains un avenir viable.
Conclusion : un défi existentiel
À travers son rapport, la Banque africaine de développement envoie un message clair : le temps presse. L’Afrique a besoin d’un trillion de dollars pour espérer atteindre les ODD, et chaque année de retard coûte des vies, aggrave les inégalités et compromet l’avenir de millions de jeunes.
La mobilisation de ces financements sera un test pour la communauté internationale, mais aussi pour les dirigeants africains. Seront-ils capables de créer un environnement propice aux investissements, de renforcer la gouvernance et de mettre en place des politiques fiscales et budgétaires crédibles ?
Le continent a devant lui une décennie décisive. Réussir à combler ce déficit d’infrastructures et à financer son développement durable ne déterminera pas seulement son avenir économique, mais aussi sa place dans l’équilibre mondial. L’Afrique peut devenir le moteur de la croissance du XXIᵉ siècle, mais seulement si elle parvient à surmonter le mur du financement qui se dresse devant elle.