En Afrique, la télévision payante n’est pas qu’un service de divertissement : elle est devenue au fil des années un instrument de culture, de politique et même de souveraineté. C’est pourquoi le rachat récent de MultiChoice par Canal+, pour un montant de 2,5 milliards d’euros, suscite autant d’analyses et de débats. L’opération, conclue en septembre 2025 après plusieurs mois de négociations intenses, fait de Canal+ le leader incontesté de la télévision payante sur le continent. Elle ouvre aussi une nouvelle ère dans la guerre de l’attention et du contrôle des contenus audiovisuels, alors que les plateformes de streaming internationales comme Netflix, Amazon Prime Video ou Disney+ tentent elles aussi de séduire un public africain jeune et avide de récits.
MultiChoice est une institution en Afrique. Fondée en Afrique du Sud en 1986, la société est connue pour sa marque phare DStv, qui domine depuis plus de deux décennies le marché de la télévision payante dans de nombreux pays, de l’Afrique australe à l’Afrique de l’Est en passant par l’Afrique centrale. Avec plus de 20 millions d’abonnés sur le continent, MultiChoice s’était imposée comme un acteur incontournable, proposant une offre mêlant chaînes internationales, contenus africains et retransmissions sportives de premier plan, notamment la Premier League anglaise, véritable produit d’appel pour des millions de foyers. Sa puissance reposait sur une compréhension fine du terrain africain, une capacité à adapter ses bouquets aux réalités économiques locales et un maillage logistique impressionnant.
En rachetant MultiChoice, Canal+ change d’échelle. Le groupe français, déjà bien implanté en Afrique francophone, renforce sa présence sur l’ensemble du continent. Depuis une dizaine d’années, Canal+ avait multiplié les initiatives pour s’ancrer dans les marchés subsahariens, proposant des offres adaptées aux revenus modestes, produisant des contenus locaux et investissant dans le cinéma africain. Mais face à MultiChoice, il restait un challenger en Afrique anglophone. Avec cette acquisition, Canal+ ne se contente pas de combler son retard : il devient le numéro un, avec un portefeuille de clients qui dépasse largement les 30 millions d’abonnés combinés.
Le rachat s’inscrit dans une logique géopolitique plus large. La bataille de l’audiovisuel africain ne se joue pas seulement entre opérateurs africains et européens, mais aussi face aux géants du numérique américains et chinois. Netflix a fait une percée notable en Afrique du Sud, au Nigeria et au Kenya, en misant sur des productions locales comme Queen Sono ou Blood and Water. Amazon Prime a commencé à investir dans Nollywood, l’industrie cinématographique nigériane, qui produit chaque année des centaines de films. Du côté chinois, StarTimes, entreprise basée à Pékin, propose des offres bon marché dans de nombreux pays, attirant une clientèle populaire. Dans ce paysage hyperconcurrentiel, Canal+ et MultiChoice, en unissant leurs forces, entendent constituer un rempart africano-européen capable de tenir tête à la fois aux nouveaux entrants du streaming et aux acteurs asiatiques.
L’acquisition suscite pourtant des inquiétudes. Certains observateurs redoutent une concentration excessive du marché et une uniformisation de l’offre. Le risque est que Canal+, fort de sa nouvelle puissance, impose un modèle unique de contenus et de tarifs, au détriment de la diversité culturelle africaine. D’autres s’inquiètent du poids croissant d’un acteur étranger dans la définition des imaginaires africains. Car la télévision n’est pas neutre : elle façonne les représentations, diffuse des valeurs et contribue à l’écriture de l’histoire contemporaine. La question de savoir qui contrôle les contenus diffusés dans les foyers africains est donc aussi une question de souveraineté culturelle.
Du côté des gouvernements africains, la réaction est mitigée. Certains y voient une opportunité : le rachat promet d’attirer des investissements massifs dans la production locale, notamment dans les séries, les films et les documentaires africains. D’autres expriment des craintes de dépendance accrue envers un acteur extérieur, rappelant que le continent a déjà payé le prix fort de la domination culturelle venue d’ailleurs. En Afrique du Sud, où MultiChoice est né et s’est développé, la fierté nationale attachée à l’entreprise est forte. Le fait de voir ce champion continental passer sous pavillon français a suscité des débats passionnés dans la presse et au Parlement, certains accusant les autorités d’avoir bradé un patrimoine symbolique.
Pour Canal+, l’opération représente un pari sur l’avenir démographique du continent. L’Afrique comptera près de 2,5 milliards d’habitants d’ici 2050, dont une majorité de jeunes. Or, cette jeunesse est connectée, avide de contenus, qu’il s’agisse de films, de musique, de sports ou de séries. Le potentiel de croissance est immense, à condition de proposer des offres accessibles et pertinentes. En intégrant MultiChoice, Canal+ hérite d’un savoir-faire technique et logistique qui lui manquait. Il accède aussi à des droits de diffusion sportifs d’une valeur inestimable. Mais il devra relever un défi majeur : celui de l’adaptation culturelle et linguistique. L’Afrique anglophone, lusophone et francophone ne consomme pas les contenus de la même manière, et l’uniformisation pourrait être contre-productive.
Les analystes estiment que Canal+ devra investir massivement dans la production africaine pour réussir cette intégration. Nollywood au Nigeria, la télévision kényane, l’industrie sud-africaine et les studios émergents en Côte d’Ivoire et au Sénégal sont autant de pôles de créativité qui réclament une meilleure visibilité. Le succès de Netflix sur le continent tient précisément à sa capacité à financer et à valoriser des productions locales qui parlent aux jeunes Africains. Canal+ et MultiChoice devront aller plus loin encore s’ils veulent éviter d’être perçus comme de simples distributeurs de contenus étrangers.
Le rachat illustre enfin une tendance lourde : la transformation de l’Afrique en champ de bataille stratégique pour les industries culturelles mondiales. Alors que les marchés européens et nord-américains arrivent à saturation, le continent africain apparaît comme la nouvelle frontière de la croissance. Celui qui réussira à séduire les spectateurs africains s’assurera non seulement des revenus conséquents, mais aussi une influence culturelle durable. Canal+, en mettant la main sur MultiChoice, a choisi de jouer cette carte à fond.
Mais la réussite n’est pas garantie. L’Afrique est un marché fragmenté, marqué par de fortes disparités de revenus, une diversité linguistique extrême et des infrastructures inégales. Dans certains pays, l’accès à l’électricité reste incertain, et la couverture Internet n’atteint pas encore les zones rurales. Miser sur la télévision payante suppose donc de trouver des modèles économiques flexibles, capables de séduire aussi bien les classes moyennes urbaines que les populations aux revenus modestes. MultiChoice avait réussi ce pari grâce à ses offres échelonnées et à sa connaissance intime des réalités locales. Canal+ devra préserver cet héritage tout en l’adaptant à sa propre stratégie globale.
L’histoire retiendra peut-être ce rachat comme un moment charnière, comparable à l’arrivée de la télévision par satellite dans les années 1990. En devenant le leader de la télévision payante africaine, Canal+ prend une longueur d’avance dans une compétition mondiale où l’Afrique est appelée à jouer un rôle central. Mais la question reste ouverte : cette nouvelle puissance profitera-t-elle aux spectateurs africains en termes de diversité culturelle, de qualité des contenus et d’accessibilité financière, ou consacrera-t-elle la mainmise d’un acteur étranger sur les imaginaires du continent ?
✅ Environ 1 100 mots.
Veux-tu que je continue avec le point 5 (les coûts d’emprunt élevés pour les grandes économies africaines selon Moody’s), dans le même style narratif ?