Une étape historique vers un marché unifié des paiements en Afrique de l’Ouest
L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) franchit un cap décisif dans son intégration financière. La Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a officiellement lancé la Plateforme Interopérable du Système de Paiement Instantané (PI-SPI), marquant un tournant historique pour le secteur des paiements digitaux.
Désormais, les utilisateurs de la sous-région pourront effectuer des transferts instantanés et interopérables entre différents acteurs — banques, fintechs, opérateurs de mobile money ou émetteurs de monnaie électronique — dans les huit pays membres de l’UEMOA.
Cette innovation, pilotée par la BCEAO, vise à fluidifier les échanges, réduire les coûts de transaction et renforcer l’inclusion financière dans une région où plus de 60 % des adultes restent exclus du système bancaire formel.
Une infrastructure régionale au service de la souveraineté financière
La PI-SPI s’inscrit dans la stratégie de modernisation du système de paiement régional. En centralisant les flux via une plateforme unique, la BCEAO entend garantir la sécurité, la rapidité et la traçabilité des opérations.
Mais au-delà de la prouesse technologique, cette initiative incarne un enjeu de souveraineté monétaire et numérique. Dans un contexte où de nombreuses infrastructures de paiement sont encore contrôlées par des acteurs étrangers, la mise en place d’un système géré directement par la BCEAO renforce la capacité de la région à maîtriser ses flux financiers internes.
InTouch, parmi les premiers connectés — et au cœur du débat
Parmi les premiers acteurs à annoncer leur connexion à la PI-SPI figure InTouch, fintech sénégalaise présentée comme un symbole de réussite technologique régionale. Fondée par Omar Cissé, InTouch s’est donné pour mission de simplifier les paiements digitaux en Afrique. Son intégration à la nouvelle plateforme illustre son rôle structurant dans les infrastructures de paiement de la zone.
Dans un communiqué, l’entreprise s’est félicitée de cette avancée, réaffirmant son engagement à « rendre les paiements plus simples, rapides et accessibles à tous ».
Cependant, la participation d’InTouch à cette transformation n’est pas exempte de débats. L’entreprise est en effet partiellement contrôlée par des groupes étrangers, notamment Worldline et CFAO, deux puissants acteurs français du numérique et de la distribution.
Cette configuration soulève des interrogations sur la gouvernance et la maîtrise des données financières à l’heure où la BCEAO promeut un système censé renforcer la souveraineté régionale. Plusieurs observateurs rappellent qu’InTouch, malgré son image de fintech africaine, fonctionne sous une structure capitalistique largement externalisée, ce qui pourrait créer des zones grises dans la gestion des flux interconnectés via la PI-SPI.
Pour certains analystes, cette situation illustre le dilemme de la région : comment bâtir une interopérabilité souveraine si les acteurs centraux du dispositif sont eux-mêmes adossés à des groupes étrangers ?
Inclusion, confiance et vigilance
Malgré ces zones d’ombre, l’entrée en service de la PI-SPI représente une avancée majeure pour les citoyens et les entreprises de la zone UEMOA. Elle devrait permettre :
- une réduction des coûts des transactions interbancaires et inter-fintech,
- une meilleure inclusion des populations rurales et informelles,
- une augmentation de la transparence dans la circulation monétaire régionale.
Toutefois, la réussite du projet dépendra aussi de la vigilance des régulateurs et de la clarification des responsabilités entre les différents acteurs connectés. Sans une gouvernance claire et indépendante, le risque serait de voir se reconstituer, sous un vernis d’intégration régionale, de nouvelles dépendances technologiques et économiques.
Une étape fondatrice, mais non définitive
Avec la mise en service de la PI-SPI, la BCEAO dote l’UEMOA d’un outil stratégique pour son intégration financière. C’est une victoire symbolique pour l’interopérabilité régionale, mais aussi un test grandeur nature pour la souveraineté numérique africaine.
Si l’infrastructure technique est désormais en place, le véritable enjeu sera de garantir que l’Afrique de l’Ouest contrôle ses propres canaux de paiement, ses données, et les bénéfices économiques qui en découlent.
En résumé :
La BCEAO vient d’ouvrir une nouvelle ère pour les paiements en Afrique de l’Ouest. L’interopérabilité promise est une avancée considérable, mais elle ne sera pleinement émancipatrice que si la région parvient à concilier innovation, inclusion et indépendance.