On nous le répète à longueur de conférences : la bancarisation, c’est l’avenir. Les gouvernements d’Afrique francophone en ont fait un objectif national. Moins de 20 % des adultes ont un compte bancaire dans plusieurs pays de la zone UEMOA ? Pas grave : il suffit d’ouvrir des comptes, des comptes et encore des comptes, et le développement suivra. Enfin, ça, c’est la théorie.
Dans la pratique, la bancarisation ressemble parfois à une soirée mondaine : tout le monde y est invité, mais seuls les plus élégants peuvent vraiment profiter du buffet.
Car sur le papier, l’idée est magnifique. Sécuriser les économies des ménages, faciliter le paiement des salaires et des factures, donner accès au crédit, formaliser l’économie informelle, élargir l’assiette fiscale… De quoi faire saliver la Banque mondiale, qui y voit un indicateur fétiche de modernité. On coche la case « développement », et tout le monde est content.
Sauf que sur le terrain, la réalité est un peu moins glamour. Les frais bancaires, par exemple, ressemblent à une taxe invisible sur la pauvreté. Vous ouvrez un compte ? Félicitations, la banque vous prélève chaque mois même si vous n’avez rien touché au compte. Résultat : beaucoup préfèrent retirer immédiatement leur argent pour ne pas se faire grignoter. Une inclusion financière qui commence par une fuite, c’est original.
Et pour ceux qui vivent en zone rurale, le tableau est encore plus cocasse. L’agence bancaire la plus proche se trouve parfois à 50 kilomètres. Autant dire que pour déposer 10 000 FCFA, il faut d’abord en dépenser 5 000 en transport. Dans ces conditions, autant cacher ses économies sous le matelas, au moins c’est gratuit.
Ajoutons à cela une relation historique compliquée entre citoyens et banques. Pour beaucoup, les banques sont vues comme des clubs fermés, réservés aux élites urbaines en costume-cravate. La confiance est faible, et la méfiance tenace.
Pendant ce temps, le mobile money trace sa route. Plus de 60 % des adultes en Afrique de l’Ouest en disposent déjà. Pas besoin de cravate, pas besoin d’agence à 50 kilomètres : juste un téléphone, une puce et un kiosque orange ou jaune au coin de la rue. On peut envoyer de l’argent, payer ses factures, épargner quelques billets… Le tout avec des frais souvent plus bas. Bref, là où la bancarisation rame, le mobile money cartonne.
Alors, que reste-t-il aux banques ? Les experts parlent d’une belle « complémentarité » : aux banques les produits sophistiqués (crédits, assurances), aux opérateurs télécoms l’inclusion de masse. Sur le papier, ça fait joli dans un PowerPoint. Dans la réalité, cela ressemble surtout à une bataille feutrée pour savoir qui contrôlera les flux financiers de demain : les vieilles banques aux frais indigestes, ou les multinationales du téléphone qui imposent déjà leurs tarifs.
La régulation ? Ah oui, elle est censée protéger les consommateurs et garantir la souveraineté financière. Sauf qu’entre les bonnes intentions et l’application concrète, il y a encore un gouffre.
Alors oui, la bancarisation avance. Mais de là à en faire l’unique indicateur d’inclusion financière, c’est une autre histoire. Car pour l’instant, le seul système qui a vraiment donné la parole au peuple, ce n’est pas la banque, mais bien le mobile money. Et là, ironie suprême, c’est surtout grâce à des multinationales étrangères.
-Aminata