Le dossier social de Worldline illustre les lignes de fracture qui traversent aujourd’hui le monde du travail en France. L’entreprise spécialisée dans les paiements électroniques, née de la scission avec Atos en 2019, a récemment signé un accord de gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP). Trois syndicats l’ont approuvé – CFDT, CFE-CGC et CGT – mais la CFTC a refusé de parapher le texte. Une opposition qui en dit long sur les enjeux, bien au-delà du seul cas Worldline.
Des indemnités rabotées
La pierre d’achoppement se trouve dans le traitement des départs volontaires. Le nouvel accord réduit fortement les indemnités de rupture. Là où une rupture conventionnelle individuelle pouvait offrir l’équivalent de plusieurs dizaines de mois de salaire – jusqu’à quarante mois dans certains cas –, le nouveau cadre revient au plancher légal fixé par la convention collective et les accords internes. Pour les salariés concernés, cela signifie des compensations trois à quatre fois moins élevées. Une évolution que la CFTC juge inacceptable, voyant dans ce dispositif un recul des droits acquis.
Des mesures d’accompagnement encadrées
Le texte n’est pourtant pas dénué de garde-fous. Il prévoit un congé mobilité de trois mois, rémunéré à 70 % du salaire brut, porté à six mois pour les plus de cinquante ans ou les personnes reconnues en situation de handicap. Il inclut la possibilité de racheter deux trimestres de retraite et garantit le financement des formations. Dans le cadre de mobilités internes, une prime équivalente à deux mois de salaire brut est prévue, versée en deux temps : à la prise de poste et après six mois de maintien.
Ces dispositions reprennent certains éléments déjà présents dans les mécanismes de rupture conventionnelle. Elles visent à accompagner les salariés dans leur transition professionnelle, qu’elle soit interne ou externe. Mais pour la CFTC, elles ne compensent pas la perte sèche que représente la baisse des indemnités.
Le cas des « expérimentés »
Autre point sensible : la gestion des carrières des salariés âgés. Le texte introduit une nouvelle catégorie, celle des « expérimentés », pour désigner les cinquantenaires et plus. L’idée est de remplacer le terme « senior », jugé trop stigmatisant. Selon la direction, ce changement sémantique s’accompagne de droits supplémentaires. Dans la pratique, l’accord ne prévoit qu’une surveillance statistique de l’accès à la formation, déjà en place auparavant. Aucune mesure concrète de soutien renforcé n’est introduite, ce qui alimente les critiques d’un affichage sans contenu.
Un contexte politique défavorable
Cette affaire ne peut se comprendre sans le contexte national. Le gouvernement français a annoncé vouloir revoir le modèle des ruptures conventionnelles, dont le coût pèse lourdement sur les finances publiques. Chaque année, ces dispositifs mobilisent plusieurs milliards d’euros. L’État cherche donc à limiter leur usage, ce qui pourrait pousser les entreprises à négocier des accords collectifs moins coûteux.
Dans cette perspective, l’accord Worldline ressemble à un signal précurseur. En encadrant strictement les conditions de départ et en réduisant les indemnités, il pourrait inspirer d’autres entreprises confrontées à des restructurations. Le bras de fer entre syndicats met ainsi en lumière la tension entre impératifs budgétaires et protection des salariés.
Une entreprise en transition stratégique
L’épisode intervient dans une période de mutation pour Worldline. En juillet dernier, l’entreprise a cédé sa branche mobilité et services web transactionnels ainsi qu’une partie de ses services financiers au groupe Magellan Partners. Cette opération marque une étape clé dans le recentrage stratégique sur le paiement, cœur de métier de Worldline. Mais elle s’accompagne de réorganisations sociales qui mettent les salariés à contribution.
Le contraste est frappant : d’un côté, une entreprise qui se repositionne pour rester un leader dans le secteur des paiements ; de l’autre, des salariés confrontés à des conditions de départ jugées moins favorables. Le débat sur l’accord GEPP illustre cette tension entre compétitivité et justice sociale.
Un révélateur des évolutions du marché du travail
Au-delà du cas Worldline, cette controverse révèle une transformation plus profonde. Les accords collectifs qui remplacent les dispositifs individuels tendent à homogénéiser les conditions, mais au prix d’une réduction des avantages. Ce mouvement correspond à la volonté de l’État de réduire les coûts liés au chômage et aux transitions professionnelles. Les syndicats se trouvent ainsi face à un dilemme : accepter des compromis pour sécuriser l’avenir de l’entreprise, ou résister au risque de voir les droits des salariés s’éroder.
En refusant de signer, la CFTC a choisi la seconde voie. Mais son isolement face aux trois autres organisations syndicales souligne la difficulté de constituer un front commun dans un contexte où les marges de manœuvre financières se réduisent.
Un avant-goût des réformes à venir ?
La situation chez Worldline pourrait bien servir de test grandeur nature pour les réformes à venir. Si l’accord s’avère moins coûteux pour l’entreprise tout en permettant une gestion plus fluide des carrières, d’autres groupes pourraient s’en inspirer. Mais si les critiques de la CFTC se confirment, l’image de Worldline risque d’en pâtir, alimentant le débat public sur la protection des salariés face aux logiques économiques.