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PMU en Afrique : expansion économique ou recolonisation numérique ?

Dans un petit kiosque de la Médina, Mamadou Ndiaye, 34 ans, coche consciencieusement ses numéros sur un bulletin de pari hippique. « Ici, on joue comme en France, les mêmes courses, les mêmes gains », dit-il avec un mélange de fierté et d’incertitude. Mais derrière ce geste anodin, c’est une stratégie beaucoup plus large qui se met en place : l’influence économique et numérique de la France sur le continent africain à travers le Pari Mutuel Urbain (PMU). 

Depuis plusieurs mois, le PMU multiplie les annonces d’expansion en Afrique francophone, avec le soutien technologique d’Honoré Gaming et le relais stratégique de Sharp Vision. Officiellement, il s’agit d’opportunités économiques et de coopération. Officieusement, plusieurs observateurs dénoncent une forme subtile de soft power, de dépendance numérique et de contrôle économique. 

  

Trois acteurs, un même objectif 

Au Sénégal, le modèle est emblématique. Le PMU a signé un partenariat avec la Lonase, la loterie nationale. Honoré Gaming, start-up française spécialisée dans les solutions numériques pour le pari, fournit la plateforme qui relie les parieurs sénégalais aux courses françaises. L’alliance se structure sur trois piliers complémentaires. Le PMU apporte son expertise française en matière de paris, ainsi que la force d’une marque déjà reconnue à l’international. Honoré Gaming, de son côté, fournit la technologie multicanal — à la fois en ligne et en points de vente — tout en assurant la collecte et l’analyse des données des parieurs. Enfin, la Lonase incarne la légitimité locale : elle garantit l’accès au marché national et sert de relais institutionnel indispensable. 

Selon un consultant basé à Paris, « techniquement, c’est un succès. Mais politiquement, cela reproduit une logique de dépendance héritée de l’époque coloniale ». Le système permet à la France d’entrer dans le marché africain tout en donnant l’impression d’une coopération locale. 

  

L’Afrique, eldorado des paris en ligne 

L’Afrique représente aujourd’hui l’un des marchés de paris en ligne les plus dynamiques au monde. Avec une population jeune, urbaine et mobile, le potentiel est énorme. Selon la Global Betting and Gaming Consultancy, le marché africain du pari en ligne pourrait atteindre 5 milliards d’euros d’ici 2027, avec une croissance annuelle moyenne de 12 %. 

Pour les opérateurs français, l’intérêt est avant tout économique et stratégique. D’une part, la majeure partie des revenus générés sur le continent est rapatriée vers la France, ce qui limite les retombées locales. D’autre part, les mises effectuées en Afrique sont directement connectées aux courses organisées à Paris, établissant ainsi une dépendance à la fois économique et numérique vis-à-vis de l’infrastructure française. 

  

Diplomatie et influence économique 

Sharp Vision, société française spécialisée dans la régulation des jeux, joue ici un rôle discret mais stratégique. Officiellement, elle accompagne les gouvernements africains dans l’organisation et le contrôle des jeux d’argent. Officieusement, selon plusieurs sources locales, elle facilite la pénétration du PMU dans des pays stratégiques. 

Avec l’appui de la diplomatie française, Sharp Vision et Honoré Gaming agissent comme des relais d’influence, repositionnant le PMU dans des espaces où il avait été dépassé par des concurrents anglo-saxons ou asiatiques. 

Un fait révélateur : ces implantations se poursuivent même dans des pays où les relations avec Paris sont tendues, comme le Mali. Cette stratégie soulève des questions sur la transparence des accords, les alliances locales et les intérêts géopolitiques sous-jacents. 

  

Entre opportunités et risques 

L’expansion du PMU n’est pas accueillie partout avec enthousiasme. Plusieurs enjeux préoccupent aujourd’hui les experts et la société civile. 

La croissance rapide du pari en ligne favorise l’apparition de comportements problématiques et addictifs, en particulier chez les jeunes générations, de plus en plus exposées. 

Sur le plan économique, une part importante des revenus générés quitte le continent, ce qui réduit considérablement les retombées locales. Certains observateurs parlent même de néo-colonialisme numérique, estimant que l’influence française se perpétue à travers des réseaux hérités de la période coloniale. 

Enfin, les conditions dans lesquelles certains accords sont négociés, souvent en coulisses, nourrissent la méfiance et renforcent l’idée d’une ingérence indirecte dans les décisions politiques locales. 

 

Le numérique, cœur de la stratégie 

Le rôle d’Honoré Gaming est central. En fournissant la plateforme, l’entreprise collecte des données massives sur les parieurs : comportements, habitudes et profils socio-économiques. Ces informations deviennent un outil stratégique, permettant de contrôler le marché et d’optimiser les flux financiers. 

Deux récits coexistent autour de cette expansion. Officiellement, il est question de modernisation du secteur, de création d’emplois et de contribution au développement local. Officieusement, beaucoup y voient surtout un moyen pour la France de maintenir son influence, en rendant les marchés africains dépendants de ses infrastructures numériques. 

Le numérique devient ainsi le moteur de cette stratégie : c’est lui qui capte, relie et maintient la dépendance. 

 

Témoignages et perceptions locales 

A Dakar, Aminata Sarr, responsable d’une ONG de prévention contre l’addiction aux jeux, observe : « Les jeunes sont attirés par ces plateformes modernes. Mais peu d’entre eux comprennent les risques financiers et sociaux. » 

Du côté des acteurs économiques, la perception est plus nuancée. Ibrahim Diop, dirigeant d’une PME locale, explique : « L’arrivée du PMU crée des emplois et modernise le secteur. Mais la dépendance aux plateformes françaises est réelle. » 

  

Coopération ou recolonisation 2.0 ? 

L’expansion du PMU en Afrique dépasse largement le cadre du divertissement. C’est une stratégie de présence française qui combine économie, diplomatie et technologie. Elle offre des opportunités : emplois, modernisation, diversification de l’offre. Mais elle comporte également des risques : dépendance économique, collecte de données sensibles et influence politique indirecte. 

Derrière les tickets de pari, une bataille d’influence se joue. La vraie question reste : s’agit-il d’une coopération équitable ou d’une recolonisation économique et numérique déguisée ? 

 

-Joseph